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Chronique de l‘Institut de recherche et d'informations socio-économiques

 

La masculinité toxique contre la planète

Publié le 10 décembre 2019


Le 5 novembre dernier paraissait dans la revue scientifique Bioscience une lettre signée par plus de 11 000 scientifiques de 153 pays à travers le monde appelant à agir immédiatement contre les changements climatiques. En guise de réponse, 500 “scientifiques et professionnels du climat et de domaines connexes” de 24 différents pays ont également signé une lettre appelant le secrétaire général de l’ONU à ne pas céder au discours alarmiste des écologistes concernant les changements climatiques puisque, selon ces “experts”, il n’y a pas d’urgence climatique. Ils donnent ainsi des munitions à ceux et celles qui prétendent qu’au fond, tout va bien, si ce n’est que des “melons d’eau” (des communistes déguisés en écologistes) tentent de nous faire avaler leur vieil agenda anticapitaliste dans un nouvel emballage.

Plusieurs médias ont révélé que ces 500 “scientifiques et professionnels du climat et de domaines connexes” ne comptaient que très peu de climatologues. La plupart des scientifiques sont des géologues (qui ont tendance à minimiser l’impact des variations rapides du climat en raison de leur biais en faveur de l’observation de temps longs) et plusieurs signataires sont des hommes d’affaires ayant des liens avec l’industrie pétrolière. Cette lettre représente une énième tentative de contrer l’idée d’un consensus sur les changements climatiques.

Un élément important a toutefois été laissé de côté par les journalistes qui ont couvert cette lettre dissidente et mérite d’être souligné : parmi les 500 signataires de la lettre, seulement 5 %, soit 26 personnes, sont des femmes. À contrario, les 11 092 signataires de l’article appelant à l’action face à l’urgence climatique comportent environ 37 % de femmes, soit une proportion équivalente à celle des femmes qui détiennent un diplôme d’études supérieures dans le monde.

Est-ce surprenant ? Pas vraiment. Plusieurs scientifiques qui étudient le climat ont témoigné du fait que la très grande majorité des personnes qui critiquent leurs travaux sur les médias sociaux sont des hommes blancs d’un certain âge. Ils versent généralement dans les théories conspirationnistes pour justifier leur appui au statu quo. D’après Scott Waldman et Niina Heikkinen, plusieurs “études démontrent que le climatoscepticisme est une position tenue principalement par des hommes. Les hommes sont moins susceptibles que les femmes d’accepter le fait, prouvé scientifiquement, que les humains sont responsables du réchauffement climatique. Ils sont également plus susceptibles de surestimer leurs connaissances sur le sujet”.

Comment expliquer cette surreprésentation des hommes parmi les climato-immobilistes ? L’inclinaison à lutter contre les changements climatiques ou à partager des préoccupations écologistes est-elle un phénomène genré ? Différentes études en psychologie et en sociologie pointent dans cette direction.

Les professeures Swim, Gillis et Hamaty, de l’Université de Pennsylvanie, ont ainsi étudié la perception d’hommes et de femmes par rapport à des pratiques associées au mouvement écologiste, selon qu’elles étaient typiquement accomplies par des hommes ou des femmes. Par exemple, l’utilisation de sacs réutilisables est associée à un comportement féminin, alors que calfeutrer les fenêtres est perçu comme un geste masculin. Les chercheuses ont aussi constaté qu’autant les hommes que les femmes interrogées avaient tendance à se questionner sur l’orientation sexuelle des personnes qui s’adonnaient à des pratiques pro-environnementales associées au sexe opposé.

Or, la grande majorité des gestes environnementaux sont associés à des qualités féminines, en raison des différentes manières dont nous sommes socialisés à devenir hommes ou femmes. Celles-ci se voient en effet attribuer socialement le rôle de prendre soin de leur entourage et de leur environnement. L’étude suggère ainsi que les hommes sont plus susceptibles de ne pas adopter des comportements écologiques par peur de paraître efféminés ou d’avoir l’air gais.

Un autre chercheur, Dennis Eversberg, a également démontré que les hommes sont plus susceptibles de partager des opinions défavorables vis-à-vis la lutte aux changements climatiques. Ce professeur est parvenu à ces conclusions en analysant les données d’un important sondage réalisé en Allemagne ayant pour but de lier les conditions socioéconomiques des individus à leurs opinions sur une foule de sujets. L’analyse d’Eversberg part du postulat que les pays dits “développés” jouissent de ce que l’on peut nommer un “mode de vie impérial”, dans la mesure où notre richesse relative est largement tributaire de rapports d’exploitation à l’échelle internationale : nous sommes riches et nous pouvons nous permettre de consommer autant parce que d’autres sont pauvres et voient leur environnement être détruit.

Les facteurs qui vont expliquer qu’une personne est favorable ou hostile à un changement de mode de vie hors de ce modèle impérial sont nombreux : son niveau de connaissance des enjeux environnementaux, son anxiété par rapport à ses chances d’améliorer sa propre situation financière, l’importance accordée à la croissance économique, le niveau de conservatisme et d’appui à des mesures autoritaires, son usage de la consommation ostentatoire pour asseoir son statut social, etc. À partir de ces différents facteurs, Eversberg détermine 10 différents groupes dans la société associés à autant d’attitudes face à l’urgence climatique.

Deux groupes sont particulièrement hostiles aux mesures de réduction des GES : premièrement, les personnes qui ont une pensée autoritaire orientée vers la protection de leur statut social. Ce groupe est composé à 60 % d’hommes, principalement plus âgés et plus riches que la moyenne. Leur fixation sur la protection de leurs privilèges, selon Eversberg, amène ces personnes à projeter leur propre égoïsme sur tous les autres groupes de la société et à voir chez les écologistes et les migrants climatiques des opportunistes qui cherchent à défendre leurs intérêts particuliers.

Le deuxième groupe est celui des “anti-écologistes qui prônent l’externalisation” des conséquences du mode de vie impérial. Ces personnes se définissent explicitement comme anti-écologistes, se considèrent comme pragmatiques, ayant un esprit critique et ne se souciant pas de ce que la société pense d’elles. Ce sont celles qui mangent le plus de viande, consomment le plus d’essence et prennent l’avion le plus souvent. Ce groupe est également composé à 73 % d’hommes.

Ces résultats confirment que les changements climatiques n’affectent pas tout le monde de la même manière. Les injustices qui existent déjà dans la société sont reproduites à travers les enjeux environnementaux. Les personnes qui risquent le plus de souffrir des changements climatiques sont les mêmes qui souffrent déjà de sexisme, de racisme, de pauvreté et des inégalités nord-sud. Il est donc normal que les personnes ayant le plus de privilèges dans la société soient les moins enclines à embarquer dans la lutte aux changements climatiques, car cela devra vouloir dire, tôt ou tard, d’abandonner certains de leurs privilèges.

La résistance au changement des anti-écologistes n’est pas causée par un manque d’informations ou de sensibilisation, elle est d’abord et avant tout causée par un manque d’empathie envers les populations qui souffrent déjà et souffriront davantage des conséquences de notre mode de vie impérial. La révolution écologiste dont nous avons besoin ne pourra se faire sans attaquer de manière frontale les injustices qui traversent nos sociétés. On n’arrivera à rien tant que le monde sera dirigé par des hommes qui ont le fétiche du gros cylindré.

François Desrochers


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